Z. A., ce sont les initiales qu’il a choisies pour se désigner. Z.A, c'est un homme de 70 ans, qui est né en Syrie mais a grandi entre le Liban et l'Egypte. Rencontré par l'intermédiaire des ateliers du mardi matin à l'Asti (Association de Solidarité avec Tou·te·s les Immigré·e·s du Calvados), il est venu avec de nombreux textes qu'il écrit dans un français soigné, depuis plusieurs années, et nous a raconté son parcours. Ce texte mêle ses propos et ses écrits.
Je suis né à Damas, la capitale de la Syrie. Ma mère m'a amenée à Beyrouth (capitale du Liban) à cause de plusieurs coups d'état en Syrie. Mon père avait ouvert deux magasins d'antiquités, à Beyrouth. J'ai vécu 29 ans à Beyrouth, mais j'allais aussi en Egypte, au Caire, à Alexandrie, et je retournais parfois en Syrie.
J'ai fait toute ma jeunesse et mes études au Liban. Je communique toujours avec mes amis libanais. Je n'oublie pas l'amitié. Avec les personnes en Syrie, je fais attention parce que c'est très surveillé : c'est "bouche cousue". Aujourd'hui, c'est un régime massacreur contre tous les opposants. (Note : l'actuel dirigeant du pays, Bachar-el-Assad, a succédé à son père en 2000, maintenant un système autocratique et poursuivant une répression violente des oppositions). Ma mère était chrétienne, mon père était musulman sunnite, mais pas très pratiquants. Moi, je suis incroyant de dieu. Mais chacun sa liberté personnelle.
Le Liban a beaucoup de surnom : Suisse de l’Orient, le Paradis de Dieu sur la terre, L'oasis de la liberté au Moyen-Orient, le phare de l'Est...
10 452 km2 de superficie pour à peu près 5,5 millions d'habitants aujourd'hui. Unis malgré 17 cultes différents. Il a abrité presque toutes les civilisations anciennes : cananéenne, phénicienne, assyrienne, égyptienne, perse, babylonienne, grecque, romaine, byzantine, arabe, ottomane... Il y a eu le Royaume de la Syrie de 1918 à 1919, puis le mandat français de 1919 jusqu'à la déclaration de l'indépendance en 1943. Avec l'évacuation des troupes françaises à la fin de l'année 1946. Beyrouth est la capitale du Liban sur la Méditerranée (près de 2 millions d'habitants dans l'agglomération). C'est une péninsule, entourée du Nord à l'Ouest et au Sud par la Méditerranée. Elle était la ville des législations (on l’appelait « la mère des lois »), où il y avait une importante faculté de droit. Qui a été détruite à cause des séismes en l'année 555 après Jésus Christ.
Le Liban, en arabe signifie libnan, nom dérivé du mot Luban, qui signifie la sève ou la résine, qui se répandait beaucoup au milieu de vastes forêts, coulant sur les pins, exhalant des odeurs agréables et parfumées.
Je suis arrivé en France en 2012. J'ai laissé tous mes carnets à Damas, sous les bombardements. Mes albums de timbres postes, de billets de collection. La vie, c'est plus important que les carnets, que tous les biens. Je suivais des cours de français au centre socio culturel de la Grâce de Dieu. J’écrivais beaucoup sur les plats traditionnels syriens en français, pour améliorer mon français. Avec ma prof Christelle, quand j’en ai été capable, j'ai écrit des textes sur le Liban, la Syrie, et toujours sur les plats traditionnels... En arabe, on dit que le vieillard cherche dans ses anciens cahiers, comme dans ses anciens souvenirs.
(Note : c'est sur ces carnets que Z. A. s'est appuyé lors de nos entretiens. Les mêmes carnets où il a raconté ses voyages de jeunesse à Maaloula, un village de Syrie où il a passé des moments marquants)
Maaloula est un
village syriaque, qui est une ethnie essentiellement basée à
l'ouest de la Syrie, près de la frontière libanaise. Il est à 57
km au nord de Damas (note : capitale de la Syrie). On prend
l'autoroute puis une toute petite route. Sur les deux côtés, on
voit les montagnes et des vallées où coulent des ruisseaux.
Poussent là-bas plusieurs genres de roses et de plantes sauvages et
médicinales (coquelicot, marguerite, marjolaine, lys, menthe
aquatique, hibiscus). Rapidement, on voit beaucoup d'animaux
domestiques : moutons, vaches, veaux, chèvres, chevaux, brebis,
volailles, poules, ânes. Vraiment, cette route est attachante et
captivante, sinueuse, montante, parfois descendante.
À l'extrémité de
la route, on arrive à un grand monument blanc, bâti en pierres,
c'est le couvent Mar, dédiée à Sainte-Thècle. Au bout, il y a un
escalier, on monte tout droit. Puis on a une caverne rocheuse, on
passe sous une voûte basse. Pour entrer, il faut se baisser. On voit
beaucoup de stalactites d’eau gelée, pointues comme des lances qui
atteignent chacune un mètre. A côté, il y a un petit bassin creusé
dans le rocher, clôturé par des bâtons en fer et qui contient des
icones, des statuettes de la Sainte-Vierge et de Jésus-Christ.
Il y a de l'eau potable dans ce bassin et on disait jadis que cette source avait aidé Sainte-Thècle à boire pendant son ermitage. Elle avait vécu dans cette caverne pendant 62 ans. Sainte-Thècle (on écrit aussi Sainte Taqulah) était la fille d'un homme araméen, elle a adhéré au christianisme quand elle avait 18 ans. Son fiancé était païen, c'est pour cela qu'elle avait rompu leurs fiançailles et s'était enfuie, les soldats romains la poursuivant partout.
Lorsqu’elle est arrivée à Maaloula, il y avait une haute colline : les croyants disaient qu'un miracle s'était produit, la colline s'était fendue en deux, ainsi elle s'y était introduit puis s'était installée dans cette caverne jusqu'à sa mort. Beaucoup de visiteurs viennent à Maaloula de tous les pays, de tous les cultes, grâce à son statut religieux.
Maaloula a beaucoup
de fêtes, dont la fête de la Croix, le 14 septembre. Il s'agit de
la récupération de la Croix réelle sur laquelle Jésus-Christ a
été crucifié. Ce jour-là, pour s'y rendre, il faut partir tôt,
trop tôt (sourire), pour ne pas stationner trop loin de l'entrée,
les files de voitures s'allongent sur plusieurs kilomètres. A cette
époque de l'année, à Maaloula, ville montagneuse, il faut porter
un pull chaud ou une veste. Tous les visiteurs cherchent la joie, la
gaité, ils veulent profiter de cette fête religieuse qui marque des
événements historiques : la victoire contre les agresseurs qui ont
confisqué la croix sacrée, et ils saluent en même temps les saints
et les chevaliers, qui sacrifiaient leurs vies.
Puis tout le monde
se regroupe, de toutes les religions, nationalités, sexes, âges, en
formant des cercles sur chaque place, bras dessus bras dessous.
Toutes les personnes dansent le dabkeh, une danse folklorique
syro-libanaise : ils tournent en rond autour d'une piste en chantant
et frappant fort le sol. Les danseurs défient la fermeté et la
cruauté de la montagne, ainsi que le climat glacial en hiver.
D'autres personnes s'intéressent aux feux d'artifice, allument des séries de fumées lumineuses, jaunes, blanches, rouges, bleues... Sur le sommet de la montagne se trouve une très grande statue en pierre blanche de Jésus-Christ debout et souriant pour accueillir les visiteurs. A son côté, il y a des bénévoles qui allument des troncs d'arbre, puis les lancent vers la vallée. Les troncs étincellent, dégringolent et s'envolent de tous les côtés en percutant de grosses pierres, produisant des sons explosifs, comme des fusées de feux d'artifice.
Tous les visiteurs s'arrêtent et contemplent cette scène, qui est vraiment extraordinaire, surréaliste. Les personnes âgées résistent au sommeil et à la fatigue et se mettent de côté simplement pour chanter et applaudir, très contentes, en se rappelant leur jeunesse. "