Le récit qui suit est un nouvel extrait du livre " Rien de ce qui est humain ne m'est étranger" paru en 2019 et édité par Lasauceauxarts-éditions (LSAA-éditions). Les entretiens retranscrits dans ce livre ont été menés par Marie-Odile Laîné que nous avons rencontré et qui nous a donné son accord pour partager quelques-uns des récits. Ce livre, c'est 15 récits de migrants qui sont passés par l'ASTI14 de Caen et qui ont livré un peu d'eux-mêmes.
Un grand merci à Marie-Odile et à LSAA-éditions pour ce partage et à Adedoyin pour ce témoignage très fort sur son parcours.
Vous trouverez le recueil de récit ici : https://lsaa-editions.lasauceauxarts.org/index.php?post/70 et le prochain livre de Marie-Odile et Mamadou, ivoirien exilé, "Le chien qui a vu le lion" sur ce lien : https://lsaa-editions.lasauceauxarts.org/index.php?post/77
Adedoyin,
Nigériane, 24 ans.
En France depuis un an.
Je suis née et j’ai
vécu toute mon enfance dans un village d’Oyo State au Nigeria. Je
suis fille unique. Mon père est un homme d’entretien et ma mère
commerçante.
En 2012, à dix-huit ans, je finis mes
études secondaires et j’envisage de commencer une formation en
administration publique.
Un jour de janvier, une belle voiture
s’arrête devant chez moi. Un homme en descend. Ici, chacun le
connaît, le craint et le respecte. C’est un chef vaudou très
populaire et un businessman très influent. Il vient me demander en
mariage. Mon père refuse, sachant combien je suis attachée à mes
études. Il insiste et menace : « Personne ne me dit non,
je reviendrai ». Mes parents, terrorisés par cet homme tout
puissant, essaient de me convaincre. Mais céder, c’est accepter
l’écroulement de tous mes rêves ! Passer ma vie comme
quatrième femme, à servir et à écarter les jambes…
Le huit
mai, il est onze heures du soir, il débarque en trombe, flanqué de
quatre gardes du corps. Ils portent sur eux leurs amulettes vaudoues.
Voyant que je persiste à lui dire non, il me frappe et fait ligoter
mes parents. Ses quatre gardes me violent, un par un, devant mes
parents et, lui, assis, regarde. Ma mère s’évanouit. D’abord,
je crie, puis épuisée et sous le coup de la douleur, je perds
conscience. En partant, ils menacent mon père : « Ce
n’est que le début, nous reviendrons ».
Quand
nous allons à la police, on ne veut pas m’entendre :
« Pourquoi lui as-tu dit non ? ». Les policiers sont
mal payés et il les achète, tout le monde le sait. Mon corps est en
mauvais état, je suis soignée une semaine à l’hôpital. Dormir,
je veux dormir et ne pas me réveiller ! J’ai honte. Mes amis
me fuient. « C’est du mauvais sang ! » disent
leurs parents, parce que je suis enceinte, sous influence vaudoue.
Trop de filles meurent en tentant l’avortement. Mes parents ne
veulent pas prendre ce risque. La nuit, ils m’entendent parler et
répondre à une voix. Je suis sous l’emprise des esprits. Vous ne
croyez pas à ça, vous, les Français. Venez vivre chez nous et vous
verrez !
Quand j’accouche d’une petite fille chez
mes parents, je n’en veux pas, je ne peux même pas la regarder.
Ma mère me dit alors de la considérer comme ma sœur et elle comme
sa mère, et cela m’aide. Nous l’appelons God Honour pour qu’elle
échappe à la malédiction. Nous vivons dans l’angoisse car
souvent la voiture de l’homme passe devant chez nous, ralentit puis
repart. Les gens ne me parlent plus, par peur d’avoir des ennuis
avec lui.
Je veux retourner à l’université. En attendant,
j’aide ma mère et je vais vendre les marchandises de sa boutique,
de maison en maison. Une jour, ayant envie de faire pipi, je m’écarte
dans un buisson. Un homme ivre me tombe dessus. Il me traite de tous
les noms, me grappe avec un bâton. Je saigne de partout. Pour moi,
c’est un sort jeté par le chef vaudou ! Je me sens cernée.
A
partir de là, je perds la tête. On m’hospitalise, je suis
attachée sur un lit et droguée car je suis devenue agressive. Mes
parents ne supportent pas de me voir dans cet état et finissent par
me ramener chez nous.
Je n’ai aucun souvenir de tout cela.
C’est mon père qui me l’a raconté. C’est comme un trou.
D’ailleurs, je voudrais que tout ce qui est arrivé soit un rêve !
Et puis, un jour, je pars. Pendant un an et demi, je reste à errer
dans la rue. Je mendie dans des vêtements sales et déchirés, hors
de moi, hors de ma tête comme de mon corps. Je suis incapable de
dire ce qui m’est arrivé pendant ce temps.
Ma famille
abandonne le combat car, dans mon pays, on ne lutte pas contre les
errants, puisqu’ils sont sous l’emprise des esprits.
Mon
père, trop malheureux de me savoir perdue, finit par consulter un
sorcier désenvoûteur. Une seule solution, dit-il, il faut sacrifier
une vie contre la mienne. Ma famille est de tradition chrétienne :
comment accepter une telle horreur ? Il s’adresse alors au
pasteur de notre église qui pratique un exorcisme sur moi.
Je
vais mieux, mais le chef vaudou revient en disant que s’il ne m’a
pas, personne ne m’aura et qu’il me détruira. Devant notre
désespoir, le pasteur propose alors que je parte en Italie avec
quatre membres de la communauté qui y vont. Il s’occupe de mon
visa et de mon passeport.
En mai 2016, j’arrive à
Bologne, mais qui va me prendre en charge ? Je n’ai pas
d’argent, je ne connais rien, je n’ai jamais voyagé, je suis
complètement perdue. Je mendie dans la rue autour de la gare pendant
trois mois. Une femme nigériane vient me voir et me dit qu’elle va
s’occuper de moi. Elle est gentille, c’est une compatriote, je la
croix. Une fois dans sa maison où vivent cinq autres jeunes
Nigérianes, elle me présente les conditions : elle me loge, me
nourrit, mais je dois travailler. Je comprends vite de quel travail
il s’agit… Mais Dieu me vient en aide : je commence à avoir
des saignements qui ne s’arrêtent pas, et je ne peux faire ce
qu’elle me demande. Alors, elle me harcèle, me maltraite, me
rappelle chaque jour que les sommes que je lui dois ne cessent
d’augmenter et que je ne sortirai jamais de mes dettes. Je n’ai
personne à qui m’adresser. Le mauvais rêve me suit, je vis comme
un fantôme. Au bout de six mois je craque et je m’enfuis dans la
rue.
Dieu est encore avec moi : je rencontre un Camerounais
qui a pitié de moi et veut m’aider. Je me méfie, je ne le crois
pas, mais il me donne un billet de train pour la France, je reconnais
la bonté de cet homme. Il a choisi Caen dont on lui a parlé. Je
crains les contrôles d’identité, mais j’ai de la chance de
passer au travers.
Nouveau pays, nouvelle langue, nouveau
monde inconnu. Et toujours pas d’argent. Je suis comme paralysée.
Je reste une semaine dans la rue devant la gare de Caen. J’ai peur
de tout le monde, je ne parle à personne, je me blottis dans un coin
la nuit et j’arpente la rue le jour. Une passante qui parle anglais
me remarque et m’aborde. C’est elle qui m’oriente vers France
Terre d’Asile. Au 115, il n’y a pas de place. Je vais vivre au
squat de Venoix pendant 2 mois puis on me donne un hébergement au
CADA.
J’ai engagé une procédure de demande d’asile à
l’OFPRA. Elle a été refusée car je n’ai pas assez de preuves
que tout cela est vrai, à part les examens médicaux qui attestent
de toutes les violences que mon corps a subies. J’ai fait appel
auprès du CNDA et je dois comparaître en avril.
Ma
petite fille a cinq ans maintenant et mes parents vivent dans la peur
que le chef vaudou lui fasse du mal. Je voudrais qu’elle vienne me
rejoindre.
Ici, je me suis calmée. Je n’ai plus peur… Si,
j’ai peur qu’on me renvoie dans mon pays ! Mais je sais que
Dieu me protège, mon Dieu est plus fort que les vaudous, c’est lui
qui m’a sauvée jusque-là et il continuera si je lui reste fidèle.
Sans lui, comment aurais-je pu supporter tout ce que j’ai
vécu ?
Je vis seule, je me méfie des autres,
surtout des Nigérians. Les filles sont incapables de garder un
secret, je ne peux rien raconter.
Quant aux hommes, inutile de
m’en parler !