Ecrire pour se sentir libre

Je m’appelle Mustafa Arin. Je suis Hazara, né à Jaghori, en Afghanistan. Dans mon pays, il y a un grand nombre de groupes ethniques, comme les Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks ou Turkmènes, par exemple. Malheureusement, les talibans n’acceptent pas les Hazaras.

Ils proclament que nous ne sommes pas Afghans et disent que nos yeux et nos visages sont différents, qu’on ne leur ressemble pas. Mon peuple est l’une des minorités religieuses d’Afghanistan qui a toujours été opprimée par les talibans et le groupe des Pachtounes. Tout comme eux, nous sommes musulmans, mais ils ne nous ont jamais acceptés.

Lorsque la communauté internationale est arrivée en Afghanistan en 2001, nous avons connu vingt ans de liberté, d’égalité et de démocratie, jusqu’au retour des talibans au pouvoir en 2021. J’ai eu accès à l’éducation, à la liberté d’expression et à la liberté de mouvement durant vingt ans, ce qui m’a permis de devenir professeur. Diplômé d’histoire en 2016, j’ai commencé à travailler en 2017 dans une école pendant quatre ans.

Le 15 août 2021, le président de l’époque, Ashraf Ghani, a démissionné et a déserté le pays, laissant place aux talibans qui ont défilé dans la capitale, Kaboul, et sont arrivés au pouvoir dès le lendemain. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de tout quitter, car je savais qu'en tant qu’Hazara, les choses deviendraient dangereuses. Le reste de ma famille a aussi fini par fuir de peur pour leurs vies.

Je suis arrivé en France le 24 juin 2022. Je suis d’abord allé à Paris puis à Caen, car un ami habitait dans la région. J’ai vécu ici pendant 18 mois sans rien, dans une tente le long de l’Orne, à attendre que ma demande d’asile soit enregistrée, car j’ai été “dubliné” en Croatie.

J’écris depuis longtemps, j’écrivais déjà en Afghanistan. J’écris sur plusieurs sujets et causes qui me tiennent à cœur, comme celui des Hazaras. Mais il m’est difficile d’écrire ici ; je suis triste et je ne suis pas tranquille parfois parce que je pense constamment à mon frère, à ma famille. Je suis inquiet d’être ici et de savoir si oui ou non je vais pouvoir rester, c’est très difficile au quotidien. Parfois, je vois des vidéos défiler sur internet de ce qui se passe en Afghanistan, notamment comment les femmes sont traitées, et ça me donne de la force pour écrire quelque chose.



“Les femmes jouent un rôle important dans toute société. Elles déterminent l’éducation de la génération future de n’importe quel pays. Les femmes transmettent tout ce qu’elles ont appris à leurs enfants et construisent la prochaine génération. Les mères intelligentes et instruites élèvent certainement de meilleurs enfants. Elles inculquent à leurs enfants l’estime de soi et la confiance en soi, ce qui constitue la partie la plus importante de l’éducation dont chaque personne a besoin jusqu'à la fin de sa vie.

Malheureusement, aujourd’hui, les femmes et les filles en Afghanistan sont sous la domination d’extrémistes religieux et sont privées du minimum de droits humains. Elles ne sont pas autorisées à étudier, travailler, faire du sport ou aller au parc. Mais les talibans insistent toujours sur le fait que ce sont les principes de l’Islam que nous adaptons et que personne n’a le droit d’intervenir.

Aujourd’hui, malheureusement, la moitié de la population d’un pays est privée de ses droits humains minimaux en raison de la politique religieuse des talibans. Je crois que les générations de demain détesteront cette religion et ses lois injustes.

Les femmes représentent la moitié du corps d’une société ; ce sont elles qui ont nourri de leur semence sacrée les plus grands scientifiques du monde. Lorsque les femmes et les filles afghanes protestent contre ces injustices, elles sont torturées, emprisonnées et même tuées par les talibans. Ce groupe d’illettrés qui dirige désormais l’Afghanistan a mis les femmes et les filles de notre pays dans les pires conditions de vie. Tant que la religion ne sera pas séparée de la politique, il n’y aura pas de liberté, d’égalité, de fraternité, et encore moins de démocratie. La religion classe les gens, mais la liberté et la justice sociale ne se forment pas ainsi.

Pour que nous devenions tous la voix des femmes démunies d’Afghanistan, j’espère qu’un jour les filles et femmes afghanes seront sauvées de cette prison religieuse talibane.”

​Mustafa Arin


Les talibans sont un désastre pour les femmes afghanes. Pour moi, ce n’est pas l’Islam que je connais, mais là-bas, je ne peux pas le dire.

J’ai besoin de liberté, de démocratie. Je respecte toutes les religions, mais si une religion interdit la liberté des femmes, la liberté d’expression et la démocratie, alors je ne peux pas l’accepter. C’est pour ça que j’écris.

J’aime la France, ici je suis libre, bien plus que dans mon pays. Pour moi, mon intégration ici passe avant tout par l'apprentissage de la langue française. J’ai envie de continuer à apprendre le français, à l’oral comme à l’écrit, et ensuite j’espère trouver du travail.

J’aimerais pouvoir rester à Caen, j’adore cette ville et maintenant j’ai des amis ici, des Français comme des étrangers. J’ai rejoint plusieurs cours de langue, mais aussi un groupe de marche ; deux jours par mois, on se retrouve et on fait des randonnées.

Lors de notre rencontre au printemps dernier pendant un atelier de français organisé par l’ASTI 14, Mustafa était dans l’attente de sa régularisation sur le sol français. À la rentrée de septembre, il nous a donné un coup de téléphone pour nous annoncer la bonne nouvelle : sa demande auprès de l’OFPRA (l'Office français de protection des réfugiés et apatrides) a été acceptée. Un titre de séjour de dix ans lui a été accordé. Mustafa va enfin pouvoir trouver du travail et commencer sa nouvelle vie dans la légalité, ici, à Caen.

*Être “dubliné” est le terme qui désigne le fait que les empreintes sont enregistrées et placées dans une base de données européenne (appelée Eurodac), souvent dans le premier pays d’arrivée sur le territoire européen. Le « dubliné » est donc dans l’obligation de déposer sa demande d’asile dans ce pays.


Article d'Aurore Kaddachi
Illustration de Camille Guillotin