Je rencontre Jérôme à la Pension de Famille Joséphine Baker de l’association Revivre. Nous avions déjà présenté la structure lors d’un précédent article que vous pouvez retrouver sur notre site : https://www.recitscroises.fr/blog/focus-6/focus-decouverte-d-une-pension-de-famille-josephine-baker-11
Bienveillant et souriant, Jérôme était d’accord pour se raconter un peu, échanger sur sa vie et ce qui l’a mené ici. Très présent sur le collectif de la structure, Jérôme m’accueille toujours entouré de ses amis avec qui il partage un lien fort.
Après m’avoir servi un café, nous nous orientons vers une petite salle à l’écart pour commencer son récit.
"Je suis né en Normandie. J’ai perdu mes parents assez tôt. J’ai été élevé par ma sœur. A 18 ans on a fait nos bagages avec mon frère et on s’est débrouillé. J’avais des amis qui m’hébergeaient. J’ai fait le tour de Caen et des centres d’hébergement. C’était un peu la galère mais j’ai pas baissé les bras pour autant. A 18 ans j’étais à l’Impro (Institut médico-professionnel). On apprenait à faire un métier. J’aimais bien parce que j’étais en mécanique générale. On fait les pièces pour la SMN (Société de Métallurgique de Normandie). J’ai fait ça pendant 2 ans. Après j’ai fait des stages avec Pôle Emploi. Et c’est là que je suis rentré à l’Institut Saint Pierre. Ils cherchaient un plongeur et j’étais plongeur là-bas pendant 15 ans. Ils m’ont viré à cause de la boisson. Après j’ai bougé à droite à gauche pour retrouver d’autres choses.
Y’a
quelque année mon appartement a pris feu. En face du CHR (Centre
Hospitalier Régional). Y’avait un hôtel et ils m’ont mit le feu
à la chambre. Je sais pas comment ils ont fait et je sais pas qui
c’est. J’avais perdu mes clés et y’avait le feu quand je suis
revenu. Ça faisait pas un an que j’y étais.
Après
j’ai été dans un centre d’hébergement d’urgence. Je suis
resté 7 mois et j’attendais pour avoir une place ailleurs. C’était
bien là-bas. Mais tu dormais la nuit et fallait se réveiller à 9
heures pour partir. Et l’après-midi je picolais avec des copains…
Les gens se mettaient sur la gueule. Je veux pas retourner dans ce
milieu là. J’évite d’aller à la gare pour pas revoir les
personnes de la-bas. Je me connais trop et je vais retomber dans leur
système. Des fois j’ai fait des amis, des fois j’ai fait des
ennemis. Parce que bon.. J’ai prêté de l’argent qu’on m’a
jamais rendu. Je vois plus les gens de cette époque, juste un ou
deux quand je les croise. Pour
certains ça durait quelques jours dans le centre. Moi j’ai fait 7
mois. J’étais tombé en maladie avec mes pieds, je me suis fait
opérer et je pouvais plus marcher. Ils ont pu me garder
l’après-midi, les travailleuses sociales du centre d'hébergement se sont occupé de moi,
c’était super.
Avant encore j’étais dans un autre centre d’hébergement.
J’ai été viré à cause de l’alcool, c’est toujours mon
problème. C’est interdit de boire là-bas. Maintenant
ça fait 2 ans que je suis à la Pension de Famille et je suis bien.
Y’a pas mal d’activités et les filles (ndlr : animatrice et
travailleuses sociales) sont super cool. Elles nous aident aux
déplacements, elles t’emmènent aux rendez-vous. Je m’occupe
ici. On va à une exposition cet après-midi. Y’a toujours des
choses de prévues. On sort, on organise des repas, on fête les
anniversaires. Ici
je fais un peu de tout. Des perles, du puzzle, des cartes avec les
potes. Le
collectif ça ferme à 16h30. Après on est chez nous. Et avec mes
voisins ça se passe bien mais je change d’appartement. Je vais
avoir un appart plus grand au 3eme. Au 3eme étage si y’a du
bordel, le lendemain matin c’est signalé. Si je suis là c’est
pour être calme.
Les
courses j’y vais avec Jean. Il a une voiture et comme il a du mal à
marcher je vais avec lui. On s’aide. Quand je le vois pas ça
m’inquiète et je vais le voir. Je sais qu’il est malade alors je
lui propose de faire 2 3 courses. Il a du mal à marcher. On a
pas le droit aux animaux par contre. Même pas un poisson. Ah si !
On a le droit aux animaux, mais en peluche seulement.
Je
suis toujours sur le collectif. A part quand je bois un peu trop, on
me renvoi chez moi. Des fois ça va pas et je pense à beaucoup de
chose. Alors pour oublier je bois un peu… Des fois y’a un peu
trop. J’essaie d’arrêter la cigarette et l’alcool mais c’est
dur, j’étais un grand fumeur et un grand buveur. On
essaye on essaye mais on peut pas tout arrêter d’un seul coup. Si
non moi j’suis sur les nerfs et les copains je vais les envoyer sur
les roses. C’est pas ça que je veux. J’essaye de ralentir déjà,
ça reste une bonne chose. Surtout pour eux parce qu’on me renvoi
chez moi. Je reste à l’écart dans ces cas là. Il me connaisse a
jeun mais quand j’ai bu ils me connaissent plus. Ils me connaissent
parce que j’adore rire mais quand ils me voient dans un autre état
ça leur plaît pas. L’autre
jour mon tuteur il est venu, j’en ai pris pour mon grade et j’ai
compris ma douleur. Si je veux rester ici faut que j’arrête les
conneries. Et si je perds ici j’ai plus rien. Je réussi à
remonter la pente alors si c’est pour la redescendre c’est pas la
peine.
J’ai pris 56 ans au mois de septembre là. J’essaie de me rajeunir avec les dents, mes oreilles, mes yeux… Je fais plus jeune maintenant. Quand j’étais jeune j’adorais monter dans les arbres. Mais maintenant je peux plus j’ai le vertige. Des fois que je fais un rêve et je tombe d’un immeuble. En me réveillant je m’aperçois que c’était du lit. Y’a pas haut pourtant. Comme je me suis fait opérer de la hanche, j’ai une prothèse alors quand je tombe dessus ça fait mal. Enfin bon, je suis bien ici, on rigole et c’est pour que ça continue. J’ai revu mon frère à un arrêt de bus y’a quelques mois. 20 ou 30 ans après. On était tout heureux de se revoir mais maintenant ma famille est ici."