Le chien qui a vu le lion : d'Abidjan à Caen

 


En Janvier 2024 alors qu’il gèle dehors et qu’on annonce de la neige, nous rencontrions Mamadou Samaké dans les locaux de la Croix Rouge de Caen. Autour d’un café bien chaud, Mamadou s’est confié à nous et est revenu sur son histoire, son exil. Un voyage qui débutait en 2018 depuis Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire, et qui s’est achevé des milliers de kilomètres plus tard,en Normandie.


Mamadou est né en 1996 à Daloa, une ville à l’Ouest de la Côte-d’Ivoire et malgré son sourire et ses yeux doux, il est cependant très craintif. Il reste sur ses gardes lors de notre rencontre, “j’ai la trouille, vraiment, il faut que je le dise” nous confit-il. Suite à sa rencontre avec Marie-Odile Lainé, bénévole à l’association Solidarité avec tous les immigrés du Calvados (Asti 14), il a réussi à faire publier son histoire dans un livre, ‘Le chien qui a vu le lion : d'Abidjan à Caen, journal de Mamadou, migrant’, publié chez LSAA Editions. 


Un récit d’une grande richesse et, qui, à de nombreuses reprises glace le sang à nous, lecteurs, mais qui se révèle être un trésor pour son auteur. Ces écrits, c'est ce qui a donné à Mamadou la force de continuer ce voyage périlleux et cauchemardesque mais toujours baigné dans l’espoir. Le dessin a été choisi comme moyen d’illustration car Mamadou a eu peur de représailles éventuelles: “Je vis dans la peur (…) J’ai préféré taire beaucoup de choses dans le livre mais moi j’ai vu. C’est mon récit, c’est ce que j’ai vécu, chacun peut l’interpréter comme il le veut. Mais le livre n’est pas pour dénigrer des races, des ethnies, des pays, c’est ce qu’il m’est arrivé.”


“L’exode tue l’identité” 

 
Un exode de 1189 jours. D’abord le Mali, puis l’Algérie, où il a prit la décision de venir en Europe. “Au début quand j’ai quitté le pays ce n’était pas pour venir en Europe, je voulais juste simplement changer de pays.”

Envers et contre tous, Mamadou a décidé de passer par la Libye, le voyage étant moins onéreux que par la Tunisie ou le Maroc: “Là-bas les Africains qui ont des peaux noires, on n’existe pas.” 

En effet, au large des côtes italiennes, un véritable trafic d’êtres humains fait rage. En Libye, les voyageurs sont totalement sous l’emprise des “coxeurs”, ou passeurs: “Tu es un objet dans la voiture, tu n’existe pas. Les chauffeurs nous serrent à 6 ou 7 dans le coffre ou sur la banquette arrière” (…) En Algérie comme en Libye ils se servent de parfum pour parfumer la voiture avant qu’on monte à bord. Nous sommes des animaux.”


“Maintenant que j’ai vu, que j’ai vécu, si quelqu’un me demande mon avis pour un passage par la Libye je dirai non. Je démontrerai par A+B qu’il ne faut jamais, jamais, jamais, JAMAIS passer par la Libye. Jamais.”

Août 2019. Au moment où les tensions et intérêts politiques entre les pays de l’Union Européenne se resserrent, Mamadou est enfin appelé, il est temps de partir. Quitter l’Afrique. Aller en Europe, là-bas où les droits de l’homme sont respectés.  

En pleine nuit, lui ainsi que soixante-sept autres personnes se retrouvent perdus en pleine mer Méditerranée, une étendue d’eau si vaste que Mamadou était persuadé d’y perdre la vie. Le capitaine, inexpérimenté et drogué, parle de faire demi-tour vers Tripoli. Subitement même la mort semble plus douce qu’un retour en Libye et dans ses prisons où les gens sont torturés, tués ou vendus. 

Mais dans ce cimetière à ciel ouvert, un miraculeux mirage approche: L’Open Arms. L’embarcation d’aide humanitaire les sauve en mer internationale. Les femmes enceintes sont emmenées en Italie pour être hospitalisées mais les pays Européens ne veulent rien savoir: personne ne veut les accueillir. Les passagers passeront vingt jours en mer avant que l’Italie finisse par céder, sous la pression médiatique internationale. 

Après l’Italie, l’Allemagne, son pays d'accueil. Transportés de foyers en foyers, Mamadou passe deux ans dans un pays où la barrière de la langue devient quasiment insoutenable pour lui et où ses problèmes de santé s’aggravent: “L’Allemagne c’était du hasard. À l’époque j’essayais d’insister pour venir en France car je me débrouillais en Français mais ils disaient que je n’avais pas le choix.”


“C’est ma santé qui m’a poussée à venir en France.”

Dans son livre, Mamadou raconte avec tendresse les liens tissés avec ses compagnons de voyage. De nombreuses rencontres éphémères qui lui ont apporté du soutien, une aide, un accompagnement et qui, parfois même, lui ont sauvé la vie. Malgré les distances qui les séparent, il reste en contact avec plusieurs d’entre eux: “Mais tous ceux avec qui j’étais en Allemagne ils ont tous quitté le pays. L'Allemagne est un pays très dur. Pour celui qui ne connait pas l’Allemagne à qui on dit qu’ils s’occupent bien des migrants c’est le contraire. C’est faux.”

Mamadou nous explique que sur 800 demandes d’asile seulement entre trois et cinq reviennent avec une réponse positive. La sienne est revenue après des mois d’attente, refusée. Une seule solution: fuir. 


Retrouver une identité, une visibilité

 
“Depuis que j’ai quitté l’Allemagne pour la France, il faut dire que je me suis trouvé à l’aise. Je n’ai pas eu de problèmes.” 

Mamadou se souvient de ses débuts en France, se rendant dans un hôpital et voir les PASS (permanences d'accès aux soins de santé) autrement dit, des centres de soins rattachés aux hôpitaux qui permettent aux personnes sans couverture de santé d’accéder à des soins médicaux: “Ils prennent le temps de lire les traductions émises par le téléphone et ils te répondent, c’est bien!”. 

Dans son récit Mamadou écrit plusieurs fois à quel point il se sentait livré à lui-même en Allemagne, rien que pour trouver un traducteur lors de ses rendez-vous médicaux, “C’est inhumain! J’aurais pu mourir devant eux sans qu’ils comprennent pourquoi.”


Mamadou insiste, son arrivée en France ainsi que la publication de son livre sous forme de journal l’ont aidé à se reconstruire: “Quand j’ai vu la manière dont nous étions traités sur les routes, je n’avais jamais vu ce genre de trucs auparavant. Oui peut-être dans les films même si je pensais que c’était toujours de la fiction (…) Je me demandais vraiment si ce qu’on vivait existait. Là-bas les gens sont traités comme des animaux, je ne comprenais pas. Je me suis vu changé d’identité: de mon statut d’élève, d’étudiant, je suis devenu un objet. Et ça seulement parce que je ne suis pas dans mon pays ou que je ne parle pas la langue… Je me suis dis ‘là c’est du nouveau dans ma vie, peut-être que je vais noter ça quelque part.’”


Son récit, Mamadou l’a écrit sur les routes dans des cahiers d’écolier qu’il a gardés précieusement avec lui, détaillant un exil, le sien mais aussi celui de tant d’autres. “C’était une manière aussi pour moi de décourager ceux qui veulent emprunter ce chemin. Leur dire réellement ce qui se passe. Moi je n’ai pas vu le film, j’ai vécu le film. Alors il fallait que j’écrive pour les frères d’Afrique qui veulent venir, pour qu’ils se rendent compte de ce qu’il se passe.” 

“Ici, en Europe, on nous fait croire que nous avons tous le même droit, mais sur la route ce n'est pas ça.”


“Je me demandais vraiment si ce qu’on vivait existait. Là-bas les gens sont traités comme des animaux, je ne comprenais pas. Je me suis vu changé d’identité: de mon statut d’élève, d’étudiant, je suis devenu un objet.”


“Je suis arrivé seul en France mais j’ai retrouvé des amis ici, ceux qui ont été envoyés en France. “Ici on a de la visibilité, on ne demande pas grand chose mais quand on va voir des associations humanitaires, elles sont au top. A chaque fois que je vais à l’ASTI ou La Croix rouge c’est super! Il y a des gens extraordinaires qui acceptent de vous écouter, de vous aider sans rien en retour.”

“La seule chose que je déplore ici (en France) c’est qu’après avoir reçu un OQTF, on m’a demandé de quitter l’endroit où j’étais hébergé mais pour aller où?”

Actuellement Mamadou vit entre Caen et Paris, malgré une situation irrégulière il travaille trois ou quatre jours par semaine. A Caen il a des amis, c’est pour ça qu’il s’est retrouvé en Normandie. Dans la capitale, il dort chez des gens qu’il ne connaissait pas auparavant mais dont certains sont devenus des amis: “En Afrique tout le monde devient ton ami à un moment donné. Ici on a besoin d’entraide. On se comprend par une langue commune et il y a un lien de familiarité qui né rapidement.”

En attente d’une régularisation, Mamadou se tourne vers l’avenir: “Je veux écrire un deuxième livre (…) Le premier livre racontait seulement le trajet. Maintenant je veux écrire un deuxième sur la France. J’ai parlé un peu de tout dans mon premier récit sauf d’ici. Je me suis arrêté à l’Allemagne et mon arrivée à Caen, point. Je n’ai rien écrit sur la ville de Caen, je veux continuer à expliquer mon installation ici, en France, ce que j’ai vu et vécu.”

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Article écrit par Aurore Kaddachi


Un grand merci à Mamadou d’être revenu sur son histoire et d’avoir partagé avec nous ses peurs ainsi que ses rêves. Et merci à Marie-Odile Lainé de nous avoir permis d’organiser cette rencontre. Le livre de Mamadou et Marie-Odile ‘Le chien qui a vu le lion : d'Abidjan à Caen, journal de Mamadou, migrant’ est disponible sur commande en ligne sur le site de LSAA editions.